Photo ©Bruce Milpied (Hans Lucas)

INTERVIEW DE JÉSUS AURED

1) Comment résonne l’accordéon dans la tradition Basque ?

L’accordéon diatonique « Trikitixa » dans la tradition Basque est un instrument incontournable tant pour le chant que pour la danse. Il est devenu pour les Basques un instrument faisant partie de leur culture presque identitaire. Jouer de l’accordéon est aussi important que parler Basque, c’est une façon de garder une tradition en vie.

2) Avec qui travailles-tu aujourd’hui ? Peux-tu nous décrire tes différents projets ?

Aujourd’hui je travaille avec deux duos. Le duo Merleau-Ponty, avec Frédéric Jouanlong (Voix multiples) : nous sommes dans un travail d’improvisation et de recherches expérimentales (perceptions sonores au service de la création). L’autre duo se nomme Nuna Qanik. Avec Alain Larribet (chanteur et multi- instrumentiste), nous recherchons à créer un pont entre les musiques du monde et la musique improvisée. Ensuite mes différents projets se croisent avec des danseurs comme Gaël Domenger et différents poètes tel que Didier Bourda, Donatien Garnier… Poésie sonore.

3) En quoi l’écriture et l’improvisation nourrissent-elles ton travail ?

Aujourd’hui les deux langages sont devenus une forme d’expression intrinsèque. L’écriture structure mes improvisation et l’improvisation me donne à voir des faces cachées de l’écrit. Cela m’amène à visiter différentes perceptions. Cela développe aussi une autre forme de conscience. J’avais besoin de passer par l’improvisation pour mieux comprendre et interpréter les œuvres de certains compositeurs. Une forme de yin et de yang : l’écrit, la partie visible et l’improvisation la partie invisible et au milieu il y a ce que je suis et ce pourquoi je suis un musicien vivant en recherche permanente d’authenticité, et les deux mondes sont indissociables.

4) Tu développes une pratique atypique de l’accordéon, comment en es-tu arrivé là et peux-tu nous décrire ce que tu aimes rechercher ?

Très jeune l’expression sonore de l’accordéon m’est apparue comme une nécessité absolue, j’avais besoin de suivre un enseignement méthodique avec un professeur et en même temps j’aimais m’évader en relevant à l’oreille des airs de la tradition Basque et de la variété de l’époque, pour pouvoir jouer très vite dans des mariages et des fêtes de villages.

A l’âge 21 ans, j’ai découvert l’accordéon de concert et j’ai suivi auprès de concertistes un enseignement rigoureux me donnant à découvrir la polyphonie et les œuvres originales écrite pour l’accordéon. Après 6 ans de cours intenses et passionnés, je suis arrivé dans une impasse ne sachant plus pourquoi j’étais musicien et pourquoi je faisais de la musique, à quoi cela servait-il, aucune voie existante ne me convenait, pourquoi dire et redire les mêmes choses toute une vie ?

J’ai décidé de partir d’une feuille blanche et tout ce qui ressemblait à de l’accordéon ou à quelque chose de connu je ne ne jouais pas, je recherchais des sons et des matières sonores que je n’avais jamais visités. Je recherchais des sons nouveaux en laissant l’accordéon s’exprimer librement, me laisser surprendre par la moindre vibration et à partir de là voir comment elle pouvait faire écho en moi.

J’ai recherché un langage improvisé qui pouvait faire résonance avec mes émotions et mes sens, quelque chose de vierge en moi.

J’ai fait l’expérience de trois années de recherche en ne jouant plus à l’extérieur en restant entre quatre murs pour aller le plus loin possible dans l’expérimentation. Au bout de ce chemin j’ai rencontré Beñat Achiary qui m’a montré qu’a partir de ce langage je pouvais le faire grandir à la fois au contact de musiciens improvisateurs et en travaillant avec des supports tel que la poésie ,la danse ,la peinture etc… autant de langages et de rencontres humaines qui ont élargi les champs des possibles.

Ce que je recherche c’est de me trouver au milieu d’un tout en harmonie avec ce que je suis, ce que je ressens. Comme un voyage sonore en mouvement dans tout mon corps et mon esprit et avec le monde qui m’entoure, comme une méditation avec humilité, être dans le faire et le non faire. A ce moment une autre dimension peut naître et qui se révèle d’elle-même et qui me fait ressentir cette unité, c’est donner et recevoir, c’est de l’Amour.