Les mots ont du son #2
23 NOVEMBRE
Einstein on the Beach, en partenariat avec la Halle des Douves, présente
14h30, Halle des Douves
4 Rue des Douves, 33800 Bordeaux
World is a Blues
Kristoff K.Roll (Carole Rieussec et J-Kristoff Camps) : voix, guitares,
dispositifs électroacoustiques – Jean Michel Espitallier : texte, voix + invités…
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19h00, Local de l’Association des Amis du Sahel
6 rue Pilet à Bordeaux
Los Dos Hermanos
Monsieur Gadou (guitares, platines vinyles, cd et K7, bouts de becs et objets divers),
El Selector Andaluz et ses vinyles.
Mostafa el Harfi
Solo de oud
Black andaluz
et ses 45 tours
Kristoff K.Roll avec Jean-Michel Espitallier
C’était parfois difficile moralement, mais j’ai dû admettre, au fil du temps,
qu’une partie de ma responsabilité de témoin était de me déplacer autant
et aussi librement que possible pour écrire l’histoire et la faire paraitre.
James Baldwin
Suite à l’immersion dans la Jungle de Calais pour y enregistrer des souvenirs de rêves des réfugiés
dans toutes les langues : farsi, arabe du soudan, four, pachto, nous avons perçu que ces récits de rêves glissaient vers le récit de vie, que la violence du réel pénétrait le rêve. Nous avons ensuite arpenté d’autres territoires, à l’écoute des témoignages de réfugiés, nous avons été saisi par les épopées tragiques qui en surgissent, nous avons alors convoqué deux auteurs, Jean Michel Espitallier et Anne Kawala, pour les traduire dans leur langue poétique, textes posés en contre-chant des voix des réfugiés.
Par la voie du blues, un blues électroacoustique, c’est-à-dire une musique
qui expérimente l’histoire de cette musique blues. Une musique tissée de voix multiples,
de sons électroniques et concrets, de compositions textuelles et de reprises électroacoustiques de blues historiques.
World is a blues est un récit électroacoustique aux mille voix, un appel à la présence des invisibles, un tissage sonore, théâtral de l’errance en quête d’un monde ouvert.
L’histoire du blues resurgit dans ces camps des migrants. De même que dans les plantations
se mélangeaient des indiens, des européens et des africains, dans les jungles européennes
se côtoient des afghans, des pakistanais, des soudanais, des érythréens, des iraniens,
Les morceaux sont issus de rencontres dans la jungle de Calais ou de rencontres à St Nazaire,
Ivry s/ Seine ou de récits de vie écrits pour la demande d’asile.
World is a blues est un fleuve.
En lui viennent affluer les récits que nous continuerons à collecter une fois la forme définie. Dans chaque lieu de représentation, à l’instar de notre projet A l’Ombre des Ondes, nous irons à la rencontre des réfugiés présents sur le territoire où nous jouerons.
Los Dos Hermanos
Compte rendu du concert à Uzeste festival :
Le Selector Andaluz lance une proposition : voix, bruit de pistolets ou de déflagrations. On entre dans un bar guyanais, sorte d’ambiance premier travelling dans la Soif du mal, même pas grave. Le guitariste a besoin de mots pour s’imprégner de ce qu’il entend, il raconte. Il choisit le sol dièse de la cloche de l’église d’Uzeste, et nous emmène en Italie. Il a entendu, lui, des klaxons italiens, à l’ancienne. Il ressent, traduit, restitue. Plutôt une superbe mélopée : «sono l’italiano» traverse la mélodie et s’épaissit; on revient au drame tout de même, lamentation du tragique, on ne s’en sortira pas. Une tendresse désespérée s’en dégage. Italie, pour le Selector Andalouz (le «DJ»… le nommerons-nous), rime avec western spaghetti, après l’explosion,Il était une fois la révolution! Voix déformée par le ralentissement du disque, hystérisée par les doigts habiles qui, maltraitant la musique la recomposent. Son univers est plus inquiétant, Sergio Leone est submergé par les brûlures infligées à la pellicule. Un peu de répit pour l’image. A la guitare? Le lien se fait par le tremolo, al dente, des années 70, engageant une valse lente et triste, aux accents graves comme une révolution espérée, avortée?
Selector Andalouz rebondit sur le «bruit de la musique» dit-il – souvenir d’un festival dans la Creuse. Le «DJ» = accentuer, déformer, appuyer, stigmatiser, finalement rendre hommage… Faut pas croire! Il lui en faut de l’oreille musicale pour saisir le sens de ce qu’il entend et se le réapproprier pour composer une nouvelle œuvre. Agacer les sons pour en produire de nouveaux.
Le guitariste a repéré un son fugitif de piano mécanique: deux pinces à linge surles cordes feront l’affaire pour rétablir un son identique; le sifflement ajouté part dans la campagne ou ailleurs, ailleurs. Moment sensible du promeneur solitaire. Le guitariste nous fait rêver à des mondes possibles, le «DJ» nous pousse à imaginer des mondes insolites, des espaces plus chaotiques qui nous sortent le plus du réel, à nous de choisir… Ici, une batterie débridée, débrayée, aux instruments multiples se choquant, s’épatant, surpris par quelques sons de l’électronique, voix artificielles, extraverties…
Monsieur Gadou entend là une petite pièce en hommage à Leo Brouwer, compositeur cubain. Chacun «dépoussière les sons», le lien pas toujours visible entre Los dos hermanos se fait ainsi par ce fil ténu des sensations fines musicales, de la perception aiguë des mélodies ou desdésententes. La guitare tire toujours son impro, en réponse au «DJ», du côté de son espace, poétique.
Le «DJ» reprend la main sur un morceau étrange chanté et l’enrichit avec deux embouts de sax, sorte de cornes de brume qui ponctuent la chanson hystérique: «je n’aime que toi» plus maléfique qu’enchanteresse. On sent bien le danger de fausses déclarations, de l’impuissance animale à aimer correctement…
Monsieur Gadou ne lui laisse pas la conclusion : il rocke tout à coup, nasillard, grunge. La grange s’est effondrée, nous sommes dans un immense champ entouré par le son, électron libre un instant, bruissant dans une nature accueillante, apaisante.