INTERVIEW DE

GUIGOU CHENEVIER

1/ Comment l’art résiste au temps ?

C’est le titre d’un projet de création pluridisciplinaire que j’ai mené avec 6 musiciens, 1 philosophe, 1 plasticienne, 1 comédienne et un bidouilleur sonore entre 2011 et 2014, mais il s’agissait plutôt d’une question que d’une affirmation. Les trois questions qu’on a essayé de se poser et de tourner et de retourner dans tous les sens dans ce projet concernaient l’art, la résistance et le temps. Et en fait, le point de départ est venu d’une discussion que j’avais eu avec un ami peintre italien (Enrico Lombardi), qui me disait en substance qu’une des seules manières de résister encore aujourd’hui, c’était de refuser la dictature de la vitesse et de prendre le temps de faire les choses…c’est en tout cas une chose essentielle dans toute pratique artistique et je pense qu’on apprécie l’importance d’un artiste en regardant aussi la totalité de son œuvre. Par exemple, je suis allé voir hier à la Fondation Van Gogh à Arles une magnifique expo de la peintre américaine Alice Neel. Ses œuvres exposées couraient de 1935 à 1984 (année de sa mort) …et là, il était possible d’apprécier toute la force de son parcours sur presque 50 ans. Magnifique !

2/ J’aimerais que nous évoquions quelques projets de ton actualité. Tout d’abord je crois que tu remontes un trio de batterie, peux-tu nous parler de l’ancien et du nouveau en décrivant la différence d’approche esthétique et historique qui les distingue ?

J’ai créé « Les Batteries » en 1984 avec Charles Hayward (This Heat) et Rick Brown (V-Effect / Fish & Roses). Deux batteurs que j’admirais particulièrement à l’époque. Mon idée était alors de pousser à l’extrême ce que j’avais commencé à expérimenter préalablement dans Etron Fou par exemple. A savoir développer l’aspect mélodique de mon instrument, et refuser de limiter ma place de musicien à un rôle de soutien rythmique. C’est l’idée que nous avons poussé le plus loin possible avec « Les Batteries », ou chaque batteur tenait tour à tour le rôle de soliste, de mélodiste, de soutien rythmique, d’improvisateur, de compositeur etc. J’ai voulu 30 ans plus tard reprendre le chantier ou on l’avait laissé. Mais à nouveau, je n’aurais pas créé un nouveau trio de batteries si je n’avais pas senti des affinités musicales et humaines très fortes avec mes deux complices de « Piles » (Anthony Laguerre et Michel Deltruc). La différence entre les 2 projets tient donc avant tout aux personnalités de mes deux comparses. Et sinon, je dois dire que la différence majeure c’est qu’il y a 35 ans, c’était encore relativement facile d’organiser des tournées et de trouver des concerts payés avec un trio de batteries, alors qu’aujourd’hui, c’est devenu un genre d’utopie quasiment irréalisable…Voilà pourquoi pour l’instant on s’est avant tout consacrés à l’enregistrement d’un disque (à paraitre sur le label hollandais Rev-Lab en 2018).

3/ Tu as récemment créé un projet avec Heidi Brouzeng et Isabelle Jelen autour de l’œuvre « les noces » de Stravinski ! Comment plonge-t-on et comment ressortir de cette immense masse ?

En ce qui me concerne, je n’ai pas trop eu le temps ni l’occasion de me poser de grandes questions existentielles à ce sujet vu que j’ai été invité par Isabelle et Heidi à rejoindre le projet pratiquement au dernier moment. Elles avaient déjà créé toute l’architecture musicale du spectacle. Je n’ai eu qu’à trouver ma place dans le sillon qu’elles avaient déjà creusé, ce qui, je dois le dire, était particulièrement agréable pour moi, qui suis la plupart du temps le principal initiateur des projets musicaux dans lesquels je joue. Dire comment on entre ou on ressort à peu près « indemne » de cette expérience et de l’œuvre colossale de Stravinsky, je crois que c’est surtout en n’écoutant pas trop l’original ! Sinon, on n’aurait rien pu faire…

4/ Peux-tu nous parler de ton futur travail avec Bruno Meiller ?

Hé bien c’est simple…je n’ai aucun travail de prévu avec lui ! On a juste partagé récemment une soirée chez un copain batteur (Luc Bouquet) qui habite à Maussane et organise des concerts dans un hangar de sa maison familiale. Luc m’a proposé de jouer en solo le même soir que Bruno qui a également joué son solo. De mon côté, ça m’a donné l’occasion de tester un nouveau solo d’une trentaine de minutes…l’expérience m’a beaucoup plu et ça m’a donné plein d’idées pour la suite…On a aussi terminé cette soirée (c’était le 2 septembre) par une petite impro en duo…ce qui était assez chouette et émouvant vu qu’on n’avait pas joué ensemble avec Bruno depuis 35 ans !

5/ Qu’est-ce que la musique minuscule ?

« La » musique minuscule…je ne sais pas… »Musiques Minuscules », je sais…puisque c’est le nom de mon solo que je jouerai à Bordeaux le 28 septembre et que je joue depuis 2003…l’idée de ce solo m’est venue pour 2 raisons principales…d’abord c’était l’envie de conjurer le sort du batteur que j’étais auquel on dit tout le temps « tu joues trop fort »…en expérimentant un projet avec uniquement des petits sons…essayer de jouer le moins fort possible…reculer les limites de l’audible…c’était un pari très excitant pour moi…surtout dans une époque où la surenchère en décibels est devenue la norme de beaucoup de concerts et de groupes…comme si jouer fort, c’était jouer bien…j’ai voulu essayer de prouver le contraire…et puis 2003, je ne sais pas si vous vous en souvenez, ça a été une année charnière…l’année de la grande grève des intermittents du spectacle (dont j’ai fait partie) et de l’annulation du festival d’Avignon (j’habite à Avignon)…A ce moment-là, je me suis dit que ça ne serait peut-être pas complètement stupide de créer une petite forme musicale que je pourrais jouer n’importe où…chez l’habitant etc…ce que j’ai beaucoup fait depuis 2003 puisque j’en suis à plus de 300 représentations de Musiques Minuscules…

6/ Je crois savoir que tu as développé une sorte de conférence à propos de la musique underground, destinée aux bénévoles du festival Gare aux Oreilles, peux-tu nous parler des quelques artistes qui te paraissent indispensables ?

Oui, en fait, au départ j’ai eu l’idée de faire cette « conférence » (en fait il s’agit plutôt d’une écoute musicale…parce que c’est extrêmement rare de prendre le temps de VRAIMENT écouter de la musique…surtout collectivement…) pour les bénévoles de Gare Aux Oreilles, un festival qu’on a organisé avec Inouï pendant 10 ans à la Gare de Coustellet. Au bout de 8 ou 9 ans, pas mal de bénévoles ont commencé à se plaindre que les musiques qu’on programmait à Gare Aux Oreilles n’étaient pas assez « festives »…qu’ils n’y comprenaient rien etc…du coup, je leur ai proposé d’organiser une écoute qui pourrait leur donner des clés pour comprendre d’où venaient ces musiques…J’ai donc choisi 3 musiciens que je considère personnellement comme « incontournables » dans chacune des sphères de la musique classique/contemporaine, du jazz et du rock…et j’y ai ajouté 3 musiciens « incontournables » que j’ai classé dans les « inclassables »…Donc au total ça fait 12 morceaux…vu que je vais faire cette « écoute » à Bordeaux le 28 septembre, gardons un peu de suspens et de surprise sur qui sont ces « grands inspirateurs »…!

7/ Quel est ce chanteur québécois que tu as découvert récemment !

Je pense que tu fais référence au morceau de musique que j’ai passé dans le cadre de l’écoute proposée en Avril par Heidi et Isabelle. Il s’agissait d’un très beau morceau d’André Duchesne (guitariste et compositeur québécois) qu’il a écrit en hommage à son père disparu (La Chanson de Roland). Ce n’est pas un morceau récent. Il l’a enregistré en 2006. Mais c’est vrai que moi, je l’ai découvert seulement cette année. En revanche, je connais André depuis longtemps ! Il a joué avec René Lussier dans les « 4 Guitaristes de l’Apocalypso Bar » et dans plein d’autres groupes québécois passionnants.

8/ Et pour finir, qu’est-ce que la musique expérimentale ?

Je ne sais pas moi…de la musique qu’on ne trouve pas dans les bacs de la FNAC ??? (encore qu’il y ait de moins en moins de disques en vente à la FNAC !)

Lien youtube : https://www.youtube.com/watch?v=ge0mZVOn0Uw