INTERVIEWS DES ARTISTES

Trois questions et quelques réponses…
LE QUAN NINH

1/ Peux-tu me dire aujourd’hui ce qui définit ta façon d’expérimenter ?

Il faut donner une définition à l’expérimentation. Si on s’en tient à celle qu’en a donné John Cage, la musique expérimentale est une musique de processus dont le résultat final échappe à la volonté et aux inclinations du compositeur.

On peut aussi s’en tenir à une définition plus quotidienne : au fait de travailler sur un matériau, d’en vivre l’expérience et d’en partager à la fois le processus d’attention et le résultat qui advient.

En tant qu’improvisateur, je n’ai jamais considéré faire une expérimentation mais plutôt de faire l’expérience des circonstances présentes. En tant qu’interprète par contre, dans le cas de compositions expérimentales, « ouvertes » ou « indéterminées », (John Cage, Earle Brown, Cornelius Cardew, par ex.), il y a toute une phase d’expérimentation, de choix des instruments et du matériau, de la manière de les utiliser, nécessaire aux processus mis en jeu par la partition.

2/ Que t’inspire le terme : improvisation totale, libre ou non idiomatique ?

Totale par rapport à quoi ? Libre de quoi ?

« Non idiomatique » me fait juste penser à Derek Bailey – qui est l’inventeur de cette expression – et au magnifique solo qu’il avait donné au festival Musique Action, ayant apporté avec lui sur scène un sac en plastique au contenu mystérieux dont le contenu m’a été révélé plus tard par Dominique Répécaud : une paire de chaussettes sales !

3/ Donne-moi un exemple de musique ou pratique expérimentale.

La série des Variations (de I à VIII) de John Cage.

TIZIANA BERTONCI

1/ Peux-tu me dire aujourd’hui ce qui définit ta façon d’expérimenter ?

Curiosité, questionnement et esprit critique. L’amour pour le rêve, l’insaisissable

2/ Que t’inspire le terme : improvisation totale, libre ou non idiomatique ?

Un espace potentiellement ouvert.

3/ Donne-moi un exemple de musique ou pratique expérimentale.

Tu veux dire aujourd’hui ou en général dans l’histoire ? En général, les œuvres qui ouvrent un regard différent sur le « monde » ou, disons, ouvrent des brèches ; mais ça n’a pas à voire nécessairement avec l’expérimentation.

BRUNO LAURENT

1/ Peux-tu me dire aujourd’hui ce qui définit ta façon d’expérimenter ?

Expérimenter c’est aller faire ce qu’on ne sais pas faire avec un outil que l’on connait bien malgré tout : forcément il y a des surprises et des incertitudes, qui font partie intégrante et font tout l’intérêt de l’EXPERIMENTATION dont on gardera une EXPERIENCE, qui nourrira et enrichira l’expérimentation suivante…

2/ Que t’inspire le terme : improvisation totale, libre ou non idiomatique ?

L’improvisation TOTALE c’est, pour un musicien, l’UTOPIE de revenir à l’être primitif qui sommeille en nous ! C’est retrouver notre part d’animalité! Enfin débarrassé des oripeaux de la « culture », c’est redevenir des Cro-magnons heureux qui s’émerveillent de chaque son redécouvert comme s’il était joué et entendu pour la première fois!

3/ Donne-moi un exemple de musique ou pratique expérimentale.

Une pratique de musique expérimentale ? pour moi c’est l’image de Scelci qui pouvait passer une journée entière à ne jouer au piano et ne répéter qu’une seule note afin d’en percevoir tous les contours, toutes les aspérités et qualités…

MARTIAL BECHEAU

1/ Peux-tu me dire aujourd’hui ce qui définit ta façon d’expérimenter ?

Je suis un amoureux du temps qui passe, mon vide est lumineux; viva la vida « a woman is a woman » please to meet you.

Ma musique est à base de bonses de tigre et d’amour klausnaomie.

J’aime vivre le temps au clavecin hallucinatoire, ma génération qui hurle pianissimo je veux vivre le temps qui passe, je veux mourir hier aquarelle de longueur et d’O.P.I.A.C.

2/ Que t’inspire le terme : improvisation totale, libre ou non idiomatique ?

Tout est à base de larsen et de douceur kant did, je suis virgule je me sens bien.

3/ Donne-moi un exemple de musique ou pratique expérimentale.

Ubuweb

MR GADOU

1/ Peux-tu me dire aujourd’hui ce qui définit ta façon d’expérimenter ?

Il n’y a pas de façon d’expérimenter, c’est le propre de l’expérimentation.

2/ Que t’inspire le terme : improvisation totale, libre ou non idiomatique ?

Improvisation totale, pourquoi pas ; libre heureusement; non idiomatique non, puisqu’il y a non dedans, et que par conséquent elle ne peut être ni libre ni totale ( un non-idiome qui devient un idiome se mord la queue, et ça fait mal de se faire mordre la queue).

3/ Donne-moi un exemple de musique ou pratique expérimentale.

Je me désole à l’idée qu’aucun lieu ne puisse reproduire le son de ma cuisine.

SÉBASTIEN LESPINASSE

1/ Peux-tu me dire aujourd’hui ce qui définit ta façon d’expérimenter ?

Dans le cas de mes recherches d’écritures sonore, expérimenter, c’est d’abord écouter comment la langue parle et comment le monde se révèle à travers les structures qui se font jour lorsqu’on ne la force pas. Il s’agit ainsi de libérer la langue d’un vouloir-dire, ce qui, pour moi, passe par tout un processus de brutification des mots par lequel ils perdent leurs assignations sémantiques.

Une phrase est une pensée est une façon de sentir est un souffle organique est un minuscule caillou dans l’océan-langue.

Autrement dit : surtout ne pas définir l’expérimentation mais l’infinir, l’indéfinir, écrire dans une sorte de langue étrangère, les mots charpentés aux corps et au monde.

Libres, mais surtout pas gratuits, lancer des mots dans l’air du temps pour en faire un acte.

2/ Que t’inspire le terme : improvisation totale, libre ou non idiomatique ?

L’improvisation est une écriture qui s’ignore : l’écriture est une improvisation qui se replie sur elle-même.

C’est juste une question d’échelle temporelle (le temps d’un concert, le temps d’un livre, le temps d’une vie, le temps d’une civilisation).

Ecouter J.S. Bach comme une improvisation.

Ecouter Michel Doneda comme une écriture.

Aucun problème : nos oreilles sont flexibles.

3/ Donne-moi un exemple de musique ou pratique expérimentale.

Oui, une pratique expérimentale d’écriture : n’avoir rien à faire pendant un temps suffisamment long pour qu’une phrase vienne en soi. Déplier la phrase sur une page. La couper en morceaux comme si chaque bout était le milieu d’autres phrases. Ecouter et écrire ces phrases du milieu. Arrêter lorsque le bruit devient trop fort ou lorsqu’on ne l’entend plus. Ne pas arrêter trop longtemps. Si on tend l’oreille, le milieu continue de croître.

à la surface de l’eau

des sillons de soie –

pluie de printemps 

Ryôkan

MARTINE ALTENBURGER

1/ Peux-tu me dire aujourd’hui ce qui définit ta façon d’expérimenter ?

Les pistes nouvelles que j’ouvre depuis quelques années m’amènent vers des situations qui englobent la totalité de l’espace qui m’entourent. L’improvisation libre que je pratique depuis longtemps n’a pas été suffisante pour m’amener vers les relations que j’arrive aujourd’hui à expérimenter. C’est grâce à la rencontre avec d’autres médias et notamment la chorégraphe Clara Cornil, l’artiste David Subal, la compositrice Jennifer Walshe qui chacun ont su déplacer les lignes et surtout n’ont absolument aucun attachement à l’objet violoncelle comme histoire, culture, attente.
C’est maintenant avec le souci d’assumer une liberté totale que je m’engage dans mes projets. L’assumer et la revendiquer en me plaçant uniquement sur l’acte et non sur ce que cet acte peut avoir comme conséquence.

2/ Que t’inspire le terme : improvisation totale, libre ou non idiomatique ?

Elle n’existe pas. C’est plutôt une discipline, un langage qui s’affine, se construit, s’articule mais on n’est pas libre. On se reconnaît, on nous reconnaît.

3/ Donne-moi un exemple de musique ou pratique expérimentale.

S’arrêter au milieu d’un carrefour, fermer les yeux et écouter.

JULIA HANADI AL-HABED

1/ Peux-tu me dire aujourd’hui ce qui définit ta façon d’expérimenter ?

Aujourd’hui comme hier, ma façon d’expérimenter se situe à l’endroit de l’émerveillement, elle est animée par le goût du son et de sa surprise, sa sérendipité. Elle se définit par l’apparition magique de la poésie que me procure la découverte, et comment le temps du son/de la musique se lie et se délie.

2/ Que t’inspire le terme : improvisation totale, libre ou non idiomatique ?

C’est pour moi, une forme de lâcher prise et d’attention aigüe au présent, de vigilance à l’énergie qu’elle procure et divulgue. C’est une prise de risque instantanée nourrie par les rebondissements, une fragilité du non-intentionnel qui est assumée. Comment être juste en rassemblant ses ressources naturelles (passé/présent/futur) en un instant, instant sur lequel on s’appuie et qui immédiatement nous échappe…

3/ Donne-moi un exemple de musique ou pratique expérimentale

Une ! c’est trop difficile :

Dave Philips pour son sens du rituel (puissant, engagé et radical)

Aki Onda pour le rapport au temps, aux temporalités (il sait laisser le temps être)

Martin Howse pour les moyens choisis (il est dépendant des moyens mis en oeuvre et ne peut pas réellement les maîtriser).

Je parle de ces artistes dans le cadre de leur performance live.

4 / Pourquoi jouer avec Martial ?

Parce que je pense que nos styles peuvent bien se combiner.

Martial a un grand sens de la poésie et il ne fait pas de concession.